Il aura fallu un véritable parcours du combattant pour que ce texte arrive là où il est aujourd’hui… Après avoir survécu à une dissolution de l’Assemblée nationale et aux turbulences gouvernementales, la loi d’orientation agricole entame son passage au Sénat ce 4 février. Déposé en avril dernier sous le gouvernement Gabriel Attal, ce projet de loi, qui figurait parmi les promesses de campagne d’Emmanuel Macron, a été remanié en urgence pour calmer le vent de révolte qui a soufflé sur le monde agricole l’hiver dernier.
Attention, car le passage devant la chambre haute ne sera pas qu’une simple formalité. Les sénateurs comptent bien revisiter le texte en profondeur, comme en témoigne le travail en commission, où pas moins de 130 amendements ont été déposés pour rectifier la copie. « C’est un texte qui revient de loin », affirme le sénateur LR Laurent Duplomb, co-rapporteur du projet. Et pour cause, selon lui, le texte initial s’étendait sur certains sujets tout en évitant soigneusement ceux qui fâchent. Autant dire que la version qui ressortira du Sénat risque d’être bien différente de celle adoptée par les députés en mai dernier, avant la dissolution.
La souveraineté alimentaire est un enjeu fondamental
L’un des points qui s’annonce comme un marqueur fort des débats n’est autre que la question de la souveraineté alimentaire. Le Sénat veut la hisser au rang d’ « intérêt fondamental de la Nation », un principe qui figure dans le Code pénal et qui confère une portée juridique bien plus contraignante. Exit la simple notion d’ « intérêt général majeur » votée par les députés, place à une reconnaissance bien plus forte. « Si nous voulons enrayer le déclin de l’agriculture française, il nous faut ériger ce principe au niveau du Code pénal », martèle Laurent Duplomb.
Dans la même veine, les sénateurs veulent aussi introduire un principe de non-régression de la souveraineté alimentaire. L’idée ? Eviter tout retour en arrière sur les engagements liés à l’agriculture, à l’image de la « non-régression environnementale » déjà inscrite dans le Code de l’environnement. « L’objectif n’est pas de mettre l’agriculture au-dessus de tout, mais de rappeler qu’elle doit être considérée au même niveau que les préoccupations environnementales », explique le rapporteur. Un équilibre délicat à trouver, dans un climat où les tensions entre protection de la nature et impératifs agricoles ne cessent de monter.
Formation et installation des agriculteurs, l’autre bataille du texte
Mais la souveraineté ne se limite pas à des déclarations de principe. Sans agriculteurs, pas d’agriculture. Un enjeu clé à l’heure où la moitié des exploitants français seront en âge de partir à la retraite d’ici 2030. Franck Menonville, co-rapporteur du texte, le dit sans détour : « Il n’y a pas de souveraineté alimentaire sans renouvellement des générations d’agriculteurs ».
Pour répondre à ce défi, le projet de loi mise sur deux mesures phares. La première : la création d’un guichet unique au niveau départemental, destiné à simplifier les démarches d’installation et de transmission des exploitations. L’idée est d’alléger les formalités administratives et d’éviter aux nouveaux entrants de se perdre dans un labyrinthe bureaucratique. La seconde, plus ambitieuse, vise à renforcer la formation des futurs agriculteurs. Le texte prévoit ainsi la création d’un « Bachelor Agro », un diplôme bac +3 orienté vers les compétences managériales et entrepreneuriales. Objectif annoncé : former 30 % de professionnels en plus dans les dix prochaines années.
Un calendrier sous pression avant le Salon de l’Agriculture
Le Sénat s’est donné deux semaines pour examiner le projet, avec un vote solennel fixé au 18 février. Mais avec près de 800 amendements à examiner, il faudra s’attendre à des échanges tendus entre la majorité sénatoriale et la gauche. Le bras de fer risque aussi de déborder au-delà du Palais du Luxembourg. Une pétition signée par 38 associations de protection de la nature et des animaux, dont France Nature Environnement et Sea Shepherd France, demande purement et simplement la suppression de l’article 13, qui prévoit la dépénalisation des atteintes non-intentionnelles à l’environnement. Un point qui devrait encore alimenter la controverse.
Si le texte est adopté par le Sénat, il devra ensuite passer par une commission mixte paritaire, chargée de trouver un compromis entre sénateurs et députés. A ce stade, aucune date n’a été fixée pour cette étape clé. Mais une chose est sûre : le gouvernement aimerait que le texte soit bouclé avant l’ouverture du Salon de l’Agriculture, le 22 février.