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Quand l’hôtellerie n’attirait pas encore les têtes pensantes de la haute finance et les diplômés des écoles de commerce, les postes de responsabilité se gagnaient par un long apprentissage du terrain et l’accumulation d’une expérience concrète des opérations. L’escalier était – est toujours – une réalité et il a permis à des quasi-autodidactes d’accéder à des fonctions de direction et des postes stratégiques sans couper le lien avec le terrain. Cette légitimité, tout en permettant aux meilleurs éléments de progresser dans la hiérarchie des groupes en construction, imposait un respect naturel aux équipes avec lesquelles le dialogue utilisait les mêmes termes d’après Georges Panayotis.

A cette époque, les groupes hôteliers se vantaient de maîtriser tous les métiers de l’hôtellerie appris sur le tas : de la construction à l’exploitation, de la commercialisation au marketing, de la fidélisation à la prospective.

Puis est progressivement arrivé le temps, sans doute nécessaire, de la spécialisation, de la segmentation, de la professionnalisation. Les fonctions se sont complexifiées et ont attiré par là même occasion des talents issus d’autres secteurs que l’hôtellerie : de l’immobilier, de la banque, de la grande distribution, de l’univers high-tech… C’est une formidable étape qui fait basculer l’industrie hôtelière dans la sphère des secteurs économiques les plus en pointe, mais avec le risque réel d’affaiblir ses racines, celle de l’hospitalité assumée comme une passion. Le choc est inévitable entre les gestionnaires diplômés des grandes écoles et les dirigeants issus de la base. Idéalement complémentaires, les deux filières sont forcément sources de friction quand l’expérience se heurte à la modélisation.

Les vertus de l’escalier social

Albert Einstein avait coutume de dire : «La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi». Pessimiste, il ajoutait même : «Si la pratique et la théorie sont réunies, rien ne fonctionne et on ne sait pas pourquoi».

C’est bien pourtant là qu’il y a matière à progresser quand le meilleur des deux mondes arrive à cohabiter et même à se conforter. Que vaut un manager obsédé par la conduite des opérations et le respect des procédures qui le maintiennent le nez dans le guidon sans le recul nécessaire de la réflexion, de la stratégie et de la maîtrise des grands équilibres économiques ? Mais comment un patron, préoccupé des ratios financiers, des courbes des taux d’intérêt, des sollicitations des sous-traitants et des experts en tout genre, peut-il conserver sa légitimité auprès des «producteurs de services humains» que sont les équipes sur le terrain ?

Autant la validité des acquis de l’expérience est une démarche essentielle pour crédibiliser et valoriser ceux qui ont bâti leur carrière sur une pratique quotidienne de leur métier ; autant la validité opérationnelle des fonctionnels devrait établir un juste équilibre en faisant toucher du doigt, de la main, de la voix la relation essentielle avec le client ; la conduite managériale des salariés en quête de motivation.

L’intelligence du management, conclut Georges Panayotis, intègre l’efficacité de l’expérience. Après tout l’escalier sert tout autant à monter qu’à descendre dans les étages, sans qu’il y ait justification réelle à se figer au plus haut niveau.